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ÉCONOMIE
DISTRIBUTION / AGROALIMENTAIRE
Le lobby agricole lutte contre un verdissement de la PAC
Selon l’ONG Corporate Europe Observatory, l’un des plus anciens lobbys bruxellois, le COPA-Cogeca tente de contrer les velléités de verdissement de la politique agricole commune, en pleine réforme.
Par Cédric Vallet Publié hier à 06h00, mis à jour hier à 08h24
Temps de Lecture 3 min.
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A mesure que le vote au Parlement européen sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), prévu lors de la semaine du 19 octobre, se rapproche, le lobbying du COPA-Cogeca – comité des organisations professionnelles agricoles européennes – se fait plus intense. Dans une lettre adressée aux eurodéputés, datée du 2 octobre, l’organisation présidée par Christiane Lambert, patronne de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), demande que les futurs « écorégimes », censés inciter les agriculteurs à adopter des mesures environnementales, ne représentent pas plus de 20 % des aides directes versées au titre de la PAC, alors que plusieurs groupes au Parlement – de la gauche jusqu’au centre droit – réclament que ce taux soit compris entre 30 % et 50 %.
« Le COPA-Cogeca se bat pour préserver un statu quo », regrette Nina Holland, membre de l’ONG Corporate Observatory (CEO), spécialisée dans l’analyse de l’influence des lobbys à Bruxelles. La bataille de la fédération des syndicats agricoles pour réduire les ambitions de verdissement de la PAC est au cœur du dernier rapport de l’ONG – fondé sur des demandes d’accès à l’information, des comptes rendus de réunions, des communications officielles –, publié lundi 12 octobre.
Un évènement majeur a provoqué une collision avec l’agenda de la réforme de la PAC, présentée, en 2018, par la précédente Commission, alors présidé par Jean-Claude Juncker, et a déclenché une forte mobilisation du COPA-Cogeca et de ses organisations membres. Il s’agit de l’annonce, en mai, par la nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen, de deux stratégies dans le cadre du « Green Deal » : celle « de la ferme à la table » et celle favorisant la « biodiversité ».
Un écho auprès de certains députés
En proposant de réduire de 50 % l’utilisation et la production de pesticides à l’horizon 2030, de réserver le quart des terres cultivables à l’agriculture biologique et de requalifier 10 % des terres agricoles à « haute diversité biologique » (mares, bandes tampons, haies etc.), l’exécutif européen a marqué les esprits. Or, le rapport de CEO montre que le COPA-Cogeca et certains autres groupes, comme l’industrie des pesticides (ECPA), œuvrent pour éviter de lier l’actuelle réforme de la PAC aux nouvelles orientations politiques, ce qui impliquerait un surcroît de verdissement.
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Pendant la crise liée au Covid-19, le COPA-Cogeca a ardemment plaidé pour un vote rapide sur la PAC et un report de ces stratégies, trouvant un écho auprès de certains députés traditionnellement proches de ses positions, comme l’Allemand Norbert Lins (Parti populaire européen), qui préside la commission agriculture du Parlement bruxellois.
« Nous partageons les objectifs généraux du “Green Deal”, affirme pourtant Pekka Pesonen, secrétaire général du COPA-Cogeca. Mais les stratégies n’en sont qu’aux premières étapes. Avant de décider d’objectifs chiffrés, il faudrait expliquer comment on les atteint. » Or, au sein de l’Hémicycle européen, ils sont nombreux à estimer que « la PAC crée des liens avec ces stratégies pour accompagner la transition le plus vite possible », comme le confie une source parlementaire.
« Un réseau efficace »
Selon Benoît Biteau, député écologiste au Parlement européen, « le COPA-Cogeca a une influence réelle sur la direction générale agriculture de la Commission et sur une partie des députés, surtout sur l’aile droite, qui reprend ses éléments de langage. » A Bruxelles, la structuration des intérêts agricoles est presque aussi ancienne que les institutions. « Le COPA-Cogeca a l’avantage de la longévité. Il a créé un réseau de lobbying formel et informel assez efficace », explique Carine Germond, professeure d’études européennes à l’Université norvégienne de science et de technologie.
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En 1958, le COPA est créé, avec l’appui de la Commission, pour fédérer les syndicats nationaux d’agriculteurs. En 1959, les coopératives agricoles s’unissent au sein de la Cogeca. Les deux structures fusionnent en 1962. C’est aujourd’hui un réseau complexe d’acteurs agricoles aux intérêts parfois divergents – entre gros et petits producteurs, entre céréaliers et éleveurs, entre agriculteurs et coopératives, dont certaines sont parfois devenues de gros acteurs industriels eux-mêmes engagés dans la vente de pesticides.
Pour Carine Germond, avec l’émergence d’ONG écologistes et d’autres syndicats agricoles, l’influence du lobby s’est érodée, « mais elle reste bien réelle ». On le voit, par exemple, au sein des « groupes de dialogue civil » créés par la Commission européenne pour échanger sur la PAC, où le COPA-Cogeca est majoritairement représenté. Or, ces groupes sont essentiels en amont, et en aval, de la production législative communautaire.
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Ce lien fort entre le groupe de pression et les institutions se traduit aussi par un accès privilégié au conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne, au sein duquel l’organisation est régulièrement conviée. Ces contacts sont démultipliés par « les syndicats nationaux qui ont souvent une influence forte sur les ministères de l’agriculture », rapporte une source au Parlement.
Cédric Vallet(Bruxelles, correspondance)