Ce thème apparemment fédérateur fait ressortir des voix divergentes. Dans ce qu’on peut appeler le camp de la gauche, voici un simple constat —un panorama— fait par la journaliste de cet article que publie le journal Le Monde ce 12 mars.
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ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE 2022
GUERRE EN UKRAINE
« Munichois », « va-t-en-guerre » :
le conflit en Ukraine réveille les vieux clivages de la gauche
Le ton est monté haut, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, entre les candidats de gauche à la présidentielle, l’écologiste Yannick Jadot et l’« insoumis » Jean-Luc Mélenchon en tête.
Par Julie Carriat • Publié aujourd’hui à 02h29 • Temps de Lecture 4 min.
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C’est désormais évident, la guerre en Ukraine a fourni à la gauche une nouvelle occasion de marquer ses différences. Jean-Luc Mélenchon d’un côté, Yannick Jadot et Anne Hidalgo de l’autre. Dans les manifestations de soutien au peuple ukrainien, chacun défile de son côté.
Si Olivier Faure, Raphaël Glucksmann, Yannick Jadot et Christiane Taubira ont été immortalisés côte à côte, les députés de La France insoumise évitent de se prêter aux photos de famille. « Quelle connerie la guerre ! » : pour son grand meeting parisien, jeudi 10 mars, Fabien Roussel a choisi les mots de Prévert pour marteler lui aussi des messages de paix, appelant à « mettre de côté les querelles » pour exiger le cessez-le-feu en Ukraine. Mais la gauche est loin de s’accorder sur les moyens de faire la paix, elle se dispute même l’héritage pacifiste.
Le député européen Raphaël Glucksmann s’interrogeait, le 6 mars, sur France 5 : « On peut être tous pour la paix, mais comment on arrive à la paix, et qu’est-ce que c’est la paix ? Refuser de donner à la résistance ukrainienne les moyens de se défendre, ce n’est pas être pacifiste, c’est laisser ceux qui font la guerre la gagner. » « Munichois » – en référence aux accords de Munich de 1938, signés par la France et le Royaume-Uni avec l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne pour éviter la guerre mais qui ont abouti à l’annexion des Sudètes par Hitler et au démantèlement de la Tchécolovaquie – l’adjectif a été vite lâché dans le camp de Yannick Jadot pour qualifier le positionnement de Jean-Luc Mélenchon. « Va-t-en-guerre », a répliqué ce dernier, pour qui livrer des armes à l’Ukraine, c’est risquer l’engrenage guerrier.
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Chacun se dispute également l’héritage de Jean Jaurès, pacifiste assassiné à la veille de la première guerre mondiale. Dans des invectives qui ont culminé, cette semaine, au lendemain du meeting « pour la paix » de Jean-Luc Mélenchon, dimanche, où il a réitéré sa volonté de sortir de l’OTAN et sa préférence pour la souveraineté nationale à l’idée d’une défense européenne. « Tous ses grands discours sur la paix masquent ses complaisances et ses capitulations face à Poutine, a réagi Yannick Jadot, sur Sud Radio. Vous imaginez Jean Jaurès défendre les bombardements des populations civiles en Syrie ? » Une référence à la phrase de Jean-Luc Mélenchon qui a estimé encore récemment que Vladimir Poutine avait « réglé le problème en Syrie ».
Chacun son Jaurès
« La référence à Jaurès est presque un marronnier, relève l’historien Roger Martelli. Elle a toujours été ambiguë, Jaurès est celui, dans la lecture communiste, qui est mort parce qu’il était pacifiste et n’aurait jamais accepté que la gauche s’abîme dans l’union sacrée lors du déclenchement de la première guerre mondiale. Côté socialiste, c’est Jaurès homme de la paix mais aussi de l’armée nouvelle, qui aurait accepté la participation à l’union sacrée. »
Chacun son Jaurès, donc. Comme le relève le député La France insoumise de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, en citant Trotsky, « les grands hommes savent mourir au bon moment » et laisser leur héritage dans l’ambiguïté. Derrière le fondateur de L’Humanité, une autre figure à l’héritage moins éclatant se dessine dans les argumentaires de paix : Léon Blum, et son choix de la non-intervention dans la guerre d’Espagne (1936-1939). Personne à gauche ne se dit « blumiste » aujourd’hui. Mais quand Yannick Jadot refuse à Jean-Luc Mélenchon l’héritage de Jaurès, il le renvoie implicitement dans ce camp, voire à une histoire encore bien plus obscure, celle de Munich, ou même celle de cette gauche du pacifisme intégral et de l’anti-bolchevisme qui fournira des figures à la collaboration.
« La paix au prix de la capitulation, ce n’est pas la paix. La paix est indissociable de la défense de la démocratie et de la liberté », souligne l’entourage du candidat écologiste. Mais les analogies ont des limites évidentes : au pacifisme de la première moitié du XXe siècle s’ajoute l’équilibre de la terreur de mise pendant la guerre froide. Chacun en convient, même en plaçant différemment le curseur de l’engrenage guerrier.
« On peut soutenir quelqu’un qui appelle à l’aide mais certainement pas s’engager militairement. Il est hors de question de se retrouver avec des avions français en Ukraine », prévient par exemple la sénatrice socialiste des Français de l’étranger Hélène Conway Mouret, qui conseille Anne Hidalgo sur ces questions. « Je me méfie du bellicisme de Jadot, qui n’est dû qu’à une chose, se démarquer de ce qu’on fait nous », rétorque pour sa part Alexis Corbière.
Frédéric Dabi, directeur opinions de l’institut de sondages IFOP, regarde la campagne de la gauche face à la guerre. Si l’invasion russe complique encore les facultés de l’opposition à se faire entendre, « Jean-Luc Mélenchon est celui qui exprime le plus la paix. Les autres candidats traitent le sujet de manière plus indirecte, Yannick Jadot en fait un enjeu d’écologie en appelant à un embargo et à sortir des énergies fossiles pour cesser de financer les crimes de guerre, Anne Hidalgo reprend son rôle de maire de Paris pour accueillir les réfugiés et se placer sur le terrain moral… » Loin d’éteindre la campagne, la guerre en Ukraine oblige chacun à choisir de nouveaux chemins.
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Julie Carriat