suite au lancement de la campagne d'un grand hyper français en faveur des semences "interdites ".
AGRICULTURE
Carrefour au secours des semences paysannes :
«Une intention qui va dans le bon sens»
Par Coralie Schaub — 21 septembre 2017 à 08:19
Guy Kastler, de la Confédération paysanne, voit d'un bon œil la campagne lancée mercredi par le géant de la grande distribution pour défendre les semences paysannes interdites à la vente. Et espère que cela fera bouger la loi.
Carrefour se met à défendre les semences paysannes. Artichaut Glas-Ruz, potimarron Angélique, courge butternut Kouign Amann, oignons roses d’Armorique ou rhubarbes acidulées de Bretagne... Le géant de la grand distribution a noué des partenariats de cinq ans avec deux groupements de producteurs bretons de légumes, Bio Breizh et Kaol Kozh (vieux choux en breton) pour commercialiser dès ce mercredi dans une quarantaine de magasins d’Ile-de-France et de Bretagne une dizaine de variétés anciennes de légumes. Le tout sous un sulfureux logo noir «le marché interdit», car ces dernières sont issues de semences dont la commercialisation est interdite.
Les semences paysannes «ne figurent pas sur le catalogue officiel qui autorise leur vente car elles ne correspondent pas aux critères d’homogénéité d’une loi qui favorise la standardisation et ne défend pas assez la biodiversité», explique un Carrefour en mode «combat» dans le texte d’une pétition lancée parallèlement dans le but de «changer» la loi. Objectifs : la «simplifier pour permettre aux petits paysans de commercialiser en circuit court leurs semences librement reproductibles» et «ouvrir le catalogue officiel à ces semences paysannes, pour que les fruits et légumes qui en sont issus puissent être commercialisés plus largement auprès de tous les consommateurs».
Sincérité ou greenwashing ?
Entretien avec Guy Kastler, membre fondateur de la Confédération paysanne et coordinateur du réseau Semences paysannes jusqu’en 2016.
Que pensez-vous de l’initiative de Carrefour?
Cela ne change pas la nature de cette enseigne, il s’agit d’une opération sur un segment de marché assez étroit, pour l’instant en tout cas. Cela dit, quand la grande distribution évolue dans une bonne direction, on ne va pas s’en plaindre, au contraire. On verra ce qu’ils sont capables de faire, mais pour l’instant ils affichent une intention qui va dans le bon sens.
Le partenariat passé par Carrefour avec les producteurs bretons vous-paraît-il correct?
Oui. Dans la nature du partenariat, il y a une démarche intéressante : chacun fait son métier, la définition des semences paysannes est celle donnée par les paysans et non celle de Carrefour. Surtout, le partenariat s’inscrit dans la durée, pour qu’il y ait un travail de sélection puis de multiplication des semences, afin d’augmenter l’offre. Car la biodiversité cultivée a disparu depuis cinquante ans, les variétés locales ont été abandonnées pour passer aux semences industrielles du catalogue.
Pourquoi les semences paysannes sont-elles si importantes?
Parce que le paysan, quand il sélectionne ses semences, les sélectionne d’abord dans son champ, à partir de sa récolte. Si on veut que les plantes s’adaptent aux conditions de culture, au terroir, au climat, il faut les sélectionner dans ces conditions là. Si on le fait ailleurs, comme les industriels, dans les éprouvettes des laboratoires, sur des cellules de plantes, ces plantes sont adaptées aux conditions du laboratoire et non à celles du champ. C’est pour cela qu’elles nécessitent ensuite d’être cultivées à l’aide d’engrais chimiques et de pesticides.
Si on veut sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’agriculture, dépendante de tous ces intrants qui l’empoisonnent, il faut qu’on laisse aux plantes la possibilité, d’évoluer en permanence, de s’adapter aux changements de climat par exemple. Quand je sème, je ne sais pas s’il fera chaud, froid, pluvieux ou sec, donc j’ai besoin d’une grande diversité pour garantir ma récolte. Chaque année, l’essentiel des semences que les paysans conservent vient de leur propre récolte, mais ils en échangent aussi un petit peu pour renouveler cette diversité. Les semences paysannes sont diversifiés et variables, l’inverse des variétés industrielles homogènes et stables.
D’où vient cette interdiction de vendre les semences paysannes?
Les premières lois qui ont rendu le catalogue des semences obligatoire datent du régime de Vichy. Après la Libération, on manquait de nourriture et de bras pour travailler dans les usines. Il fallait produire plus avec moins de paysans, donc on a mis des engrais chimiques, il a fallu adapter les plantes à ces derniers et à la mécanisation, d’où cette homogénéité et cette stabilité. C’était une politique publique de sécurité alimentaire. Mais aujourd’hui, on exporte, on produit beaucoup plus que ce dont on a besoin, l’excès de production animale mobilise beaucoup de surfaces agricoles. Nous n’avons plus ce problème de quantité, mais des problèmes environnementaux et de qualité de la nourriture. Les vitamines, antioxydants et minéraux qui font les qualités nutritionnelles et gustatives des plantes disparaissent quand on travaille avec des engrais chimiques. Car la plante fabrique ces substances qui font la qualité nutritionnelle quand elle est obligée de s’adapter à un environnement où il y a des microbes, des insectes, des champignons… D’où la meilleure qualité des sélections paysannes, qui sont obligées de s’adapter.
Carrefour a aussi lancé une pétition pour changer la loi. Les demandes du distributeur rejoignent-elles votre combat?
C’est ce que la Confédération paysanne demande depuis des années. Nous avons longtemps demandé aussi de pouvoir échanger nos semences, mais nous avons à nouveau ce droit dans le cadre de l’entraide - donc en dehors du commerce et du catalogue - depuis l’adoption de la loi biodiversité en août 2016.
Le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis), qui représente les semenciers, a vivement critiqué cette campagne de Carrefour en soulignant que «les sélectionneurs publics et privés sont impliqués dans la préservation de la biodiversité» et que «chaque année les 3200 variétés de légumes déjà en vente s’enrichissent de plus de 150 variétés nouvelles». Qu’en pensez-vous?
C’est normal, le nombre de variétés au catalogue ne peut qu’augmenter car quand ce dernier a été ouvert, aucune n’y était inscrite! Mais à l’époque, il y en avait des centaines de milliers dans les champs. Et dans les champs, ce ne sont pas des variétés homogènes et stables, il y a beaucoup de diversité dans chaque variété, cela évolue chaque année. La diversité c’est un processus dynamique. Par ailleurs, les semenciers ne disent pas que quand ils rajoutent des variétés au catalogue, ils en enlèvent aussi. Car maintenir une variété au catalogue a un coût: il faut qu’ils paient, donc quand ils ne les exploitent plus, ils les enlèvent. Ils font aussi cela pour que leurs concurrents ne les récupèrent pas car n’importe qui peut commercialiser une variété du catalogue quand celle-ci n’est plus protégée par un droit de propriété intellectuelle, au bout de 20 ou 25 ans. Enlever une semence du catalogue pour en mettre une autre leur garantit le monopole.
A quelles firmes profite ce catalogue?
Cela dépend des espèces. Le plus gros producteur de semences potagères, en France, est Limagrain, sous l’étiquette Vilmorin. Mais les sociétés étrangères en vendent aussi, Syngenta, Monsanto ou des semenciers néerlandais. Ces entreprises sont de plus en plus grosses car celui qui a le plus gros portefeuille de brevets rachète les autres. Elles font plus de profits en vendant les droits de licence, donc de multiplication, qui proviennent du droit de propriété intellectuelle, qu’en vendant les semences elles-mêmes.
L’initiative de Carrefour n’est pas nouvelle, Biocoop, le premier réseau de magasins bio en France, le fait déjà..
Oui, Biocoop a un partenariat avec le Réseau semences paysannes depuis quelques années. Par contre, ils ne permettent pas encore aux consommateurs d’identifier les produits issus de semences paysannes, même si c’est à venir. Tous les produits bio ne sont pas issus de semences paysannes, certains sont issus de semences industrielles.
Carrefour ne fait pas mieux que Biocoop, mais ce n’est pas parce que Biocoop le fait que Carrefour n’a pas le droit de le faire, au contraire! Si vous voulez faire bouger les choses, c’est bien d’avoir des acteurs économiques puissants, car du côté du gouvernement ils écoutent plus. Quand nous avons obtenu en 2008 le moratoire sur le maïs OGM MON810, le fait que Carrefour n’en voulait pas a beaucoup pesé. Nous avons notre moyen de faire, notre propre légitimité, Carrefour joue avec d’autres arguments.
Tout cela s’inscrit dans le contexte des Etats généraux de l’alimentation. Qu’attendez-vous de ces derniers?
Justement, si cela peut permettre de mettre à l’ordre du jour la question de la réglementation semencière et des semences paysannes, c’est bien. J'ai participé au Grenelle de l’environnement [sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ndlr]. Nous avons à l’époque fait inscrire dans la loi Grenelle qu’il fallait pouvoir enregistrer les semences paysannes au catalogue. C’était il y a bientôt dix ans et rien n’a changé. Donc ce n’est peut-être pas mal de se donner les moyens de faire plus cette fois-ci.
Coralie Schaub