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CORONAVIRUS SARS-COV-2
Coronavirus : la stratégie de lutte des Pays-Bas, sans confinement, fait polémique
Le premier ministre, Mark Rutte, défend toujours la politique de l’« immunité collective ». Les pays voisins s’inquiètent.
Par Jean-Pierre Stroobants Publié aujourd’hui à 03h59
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photo : Le ministre de la santé, Bruno Bruins, quitte un débat parlementaire sur l’épidémie de Covid-19 suite à un malaise, à La Haye, le 18 mars. PHIL NIJHUIS / AFP
Au sein des pays européens, les Pays-Bas se démarquent dans la lutte contre la pandémie due au coronavirus : comme la Suède et, dans une mesure bien moindre désormais, le Royaume-Uni, ils refusent toujours d’envisager le confinement obligatoire en vigueur notamment en France et en Italie. Le pays s’en tient à la théorie de l’immunité collective.
Si le premier ministre britannique, Boris Johnson, est en train de réviser cette notion selon laquelle il faut laisser le virus se diffuser dans la population, en protégeant cependant les groupes les plus vulnérables, son homologue néerlandais, Mark Rutte, défend encore l’idée qu’une fois qu’une partie importante de la population a été atteinte par l’agent infectieux, elle sera immunisée. Alors qu’un confinement empêcherait, au contraire, l’immunisation et favoriserait le retour, plus tard dans l’année, du virus.
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Dans une inhabituelle intervention télévisée, M. Rutte a indiqué, lundi 16 mars, qu’« une grande partie » de la population néerlandaise serait affectée, mais qu’il n’était pas question de décréter un confinement total, qui risquerait de faire « immédiatement » renaître le virus dès que la mesure ne serait plus en vigueur. Une version répétée lors d’un débat parlementaire, à La Haye, par le ministre de la santé, Bruno Bruins, avant qu’il soit victime, mercredi, d’un malaise dû, a-t-il expliqué, à un excès de fatigue.
« Tout à fait inacceptable »
« L’immunité n’est pas une stratégie, mais juste une conséquence de ce que nous voulons faire, dans un pays qui compte une très forte densité de population et, proportionnellement, moins de lits en soins intensifs que d’autres », affirme un diplomate. Il soutient que la politique de son pays est, finalement, assez proche de celle de ses voisins, sans évoquer le fait que le système de soins néerlandais a été fortement rationalisé et ne dispose pas toujours des infrastructures nécessaires. Jaap van Dissel, directeur de l’Insititut national de santé publique (RIVE), soutient, en tout cas, que « le groupe des personnes immunes forme un bouclier pour les personnes plus fragiles ».
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Ce n’est pas l’avis de spécialistes belges, qui estiment que l’approche néerlandaise met en péril les efforts déployés dans les pays voisins et l’Union européenne en général. L’immunité collective est « tout à fait inacceptable », juge ainsi le docteur Yves Coppieters, épidémiologiste à l’Université libre de Bruxelles, interrogé par La Libre Belgique. Il ne nie pas, toutefois, que le confinement peut limiter l’immunité naturelle, mais il souligne qu’il permet au moins que les systèmes hospitaliers puissent gérer au mieux les cas les plus difficiles.
Les experts relèvent, en tout cas, une proportion élevée de cas de contamination dans les régions allemandes et belges proches de la frontière néerlandaise. L’explication résidant peut-être dans le fait que les Pays-Bas n’ont renoncé que le 14 mars à fermer une série d’établissements, dont les restaurants, les bars et les discothèques. Une décision jugée trop tardive qui a fait en sorte que de nombreux habitants des pays riverains ont franchi la frontière et contribué à d’importants rassemblements de personnes.
« C’est l’histoire qui montrera si le résultat est très différent »
La comparaison des chiffres des contaminations et de décès ne permet, à l’heure actuelle, de trancher en faveur des approches « confinement » ou « immunité ». « C’est l’histoire qui montrera si le résultat est très différent », dit le ministre norvégien de la santé, Bent Hoie. Les Pays-Bas (17,2 millions d’habitants) comptaient, mercredi, 2 051 personnes contaminées et 58 décès, tandis que la Belgique (11,4 millions d’habitants) dénombrait 1 486 cas mais 14 morts seulement. La Suède (10,1 millions), qui pratique l’immunité collective, recense, elle, moins de cas (1 279) et moins de morts (10). Un nombre qui s’explique sans doute par le fait que les contaminés revenant de l’étranger ont été très rapidement isolés.
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La stratégie suivie par les autorités de Stockholm, pourtant en contradiction avec celle de leurs voisins danois, finlandais ou norvégiens, ne fait pas vraiment polémique dans la région, mais la situation pourrait changer si, comme le redoute l’agence suédoise de la santé publique, le pays devait affronter une explosion du nombre de cas.
Tentant, avec un peu de difficulté, de favoriser des approches communes et efficaces, la Commission de Bruxelles a créé un comité d’experts scientifiques censé promouvoir la coordination entre les pays membres. Réuni pour la première fois mercredi 18 mars, il devait identifier les carences des politiques menées et formuler des recommandations en matière d’identification et de traitement de la maladie.
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Interrogée sur les approches différentes des uns et des autres, la Commission affirme qu’il ne lui appartient pas de commenter des stratégies nationales. Il semble que les scientifiques devraient, eux, prôner dans un premier temps des mesures généralisées de distanciation sociale, communes aux différents pays membres et coordonnées entre eux. Au-delà, ils devraient plaider pour des mesures obligatoires de mise en quarantaine complète pour les endroits où l’agent infectieux serait particulièrement répandu. Des décisions à évaluer avec précision par les pouvoirs publics, au niveau d’un quartier, d’une ville ou d’une région.
Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen, avec Anne-Sophie Hivert, Stockholm, Correspondante)