ça y est, je n'ai pas retrouvé le "peau de caste" exact avec les palimndromes, mais cette chronique la du même eric libiot vaut tout autant le coup:
pour l'entendre
https://www.radiofrance.fr/franceinter/ ... 23-3508842
et encore mieux pour la déguster en lecture:
Dans "Les choses vues", Eric Libiot déclare son amour aux jeux de mots, désormais jugés ringards.
Avec
Eric Libiot Rédacteur en chef Culture à L'Express
Mon cher jeu de mots.
Je vous écris car j’entends ici où là que vous être passablement déprimé. Plus personne ne s’intéresse à vous. Aujourd’hui, les représentants de la fine fleur comique, pétalent trop souvent dans le vide, préfèrant s’occuper d’eux et de leurs maux plutôt que de s’amuser avec une langue qui ne demande que ça.
La beauté du jeu de mots et du calembour échappe à beaucoup.
Je connais ma chance de vous avoir rencontré jeune ; j’avais une douzaine d’années. Je vous ai rencontré, je vous ai reconnu, je vous ai compris.
C’était un dessin en trois ou quatre cases dans le journal Tintin. Deux personnages à la mine triste mangent du riz. L’un des deux propose d’y ajouter un œuf pour changer d’humeur. L’autre demande pourquoi. Et le premier de répondre : « pour que ce soit l’œuf au riz ».
Je m’en souviens comme si c’était hier, ce dessin s’est transformé en destin, et depuis j’aime cuisiner les mots sans me cantonner à un seul plat.
Je m’oblige même à vous côtoyer tous les jours parce que vous excitez les papilles de l’imaginaire et maintenez l’esprit en éveil.
Alors oui, je sais bien, cher jeu de mots, ce que vous ressentez. Ici même, lorsque je calembourde, je vois le regard de lion d’Ali en train de se transformer en regard hagard.
Vous êtes trop souvent méprisé, balayé d’un revers de main, et vos détracteurs en campagne sont bien heureux de pouvoir citer parmi leurs paires cette huile du théâtre qu’est le sieur Molière, qui grimpait sur ses grands chevaux pour dénoncer le calembour ou Victor Hugo lui-même qui déclarait que « le calembour est la fiente de l’esprit qui vole ».
Les grands esprits ne sont pas à l’abri de mots malencontreux.
Je préfère citer Jean-Claude Carrière qui écrit de joie et d’excellence : « le calembour est un exercice salutaire, car la liberté de la langue précède souvent la liberté de l’esprit ».
Et parmi ces défenseurs qui vous honorent sans le perdre, il y a tout de même du beau monde d’Alphonse Allais à Cami, de Pierre Dac à Raymond Queneau, de Raymond Devos à Jules Renard ; Jules Renard qui, par exemple, dans ses Histoires naturelles écrivait « Le ver à soie file un mauvais cocon. »
Eh bien moi, ce jeu de mot-là m’amuse, me ravit, me met en joie et j’applaudis.
Tout y est beau : la simplicité, la justesse, la référence, le détournement.
Tous ces exemples et ces citations sont extraits du recueil Au bonheur des mots de Claude Gagnière. Effectivement, tous les mots sont un bonheur qu’il faut caresser dans tous les sens et les non-sens du poil.
Rien n’est lisse chez vous qui parfois ne volez pas très haut. Mais qu’on ne s’y trompe pas, vous avez à la fois les pieds sur terre et la tête dans les étoiles puisque vous brassez large, du rase-motte à l’exosphérique.
Rassurez-vous, cher jeu de mots, et n’oubliez pas que vous êtes la démocratie incarnée. Vous ne méprisez rien ni personne. Vous pouvez être mauvais et parfois vous avez l’obligation de l’être. Mais vos lettres sont de no
blesse.
Vous ne connaissez pas l’échec. Vous pouvez être approximatif, pas drôle, passe-partout et aller nulle-part, brillant, subtil, léger, ridicule, magnifique.
Parce que tout le monde a sa propre conception du goût, vous vous en foutez de savoir s’il faut rire avec qui, de quoi, comment et où.
Vous êtes le carburant de l’humour et l’essence de la vie.
Résistez à l’ambiance morose et croyez, cher jeu de mots, en ma fidélité et en mon amour indéfectibles.
À réécouter : Arrêter de voir la vie en arthrose
La chronique de Christophe André