Oranges amères • chlorpyriphos-éthyl

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Claude
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Oranges amères • chlorpyriphos-éthyl

Message par Claude » 01 juin 2019, 00:14

Reportage en Californie. in Libé 31.05.19.
REPORTAGE

Pesticides : l’orange amère de Californie

Par Laure Andrillon, Envoyée spéciale à Lindsay (Californie) — 31 mai 2019 à 20:16

Dans les exploitations de la Vallée Centrale, les cueilleurs d’agrumes et leurs enfants souffrent à cause des taux dangereux de chlorpyriphos-éthyl, produit neurotoxique dont l’interdiction a été annulée par l’administration Trump.
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Comme tous les matins, Lupita Gonzalez, 25 ans, arrive un peu en avance là où «le majordome» a donné rendez-vous à une trentaine de travailleurs agricoles, tous immigrés mexicains de première ou de seconde génération. Voilà déjà douze ans qu’elle travaille comme cueilleuse dans les plantations d’agrumes aux alentours de Lindsay. Cette petite ville californienne est au cœur du couloir agricole qui s’étend à l’intérieur des terres, entre San Francisco et Los Angeles. Au moment de recouvrir son visage d’un bandana pour se protéger du soleil, Lupita se fige un instant puis interpelle ses compagnons. «Vous entendez ?» Dans le champ d’à côté, un tracteur surmonté d’un réservoir ocre asperge les vignes «d’on ne sait quoi». Certains lui répondent par un haussement d’épaules. D’autres ont déjà le visage enfoui dans le feuillage et ne l’entendent même pas.

«Œuf pourri»

Lupita raconte qu’elle a des rougeurs de peau, des migraines et des vertiges au quotidien. «On dit que c’est l’air de la vallée…» Il y a deux ans, des femmes de son équipe se sont mises à tousser, puis à vomir, après que la vaporisation de la plantation adjacente a dérivé sur la leur, au gré du vent. En se renseignant, la jeune femme a découvert que de tels symptômes et cette «odeur d’œuf pourri» pouvaient être les signes d’une exposition directe au chlorpyriphos-éthyl, un pesticide neurotoxique utilisé par les fermiers du coin pour se débarrasser des nuisibles. Elle a aussi appris que des études liaient le chlorpyriphos-éthyl à des troubles de développement cérébral, en particulier chez les jeunes enfants. Les risques de développer des troubles du spectre de l’autisme sont considérablement augmentés si la mère a été exposée au pesticide pendant la grossesse, notamment au cours du deuxième trimestre.

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Aux Etats-Unis, l’utilisation du chlorpyriphos-éthyl est interdite en usage résidentiel depuis 2000. Et son usage agricole aurait été également interdit si le directeur de l’Environmental Protection Agency (l’Agence fédérale de protection environnementale, dite EPA) n’en avait décidé autrement. Fraîchement nommé par Donald Trump, Scott Pruitt a annulé la procédure à quelques jours de l’échéance, le 29 mars 2017, jugeant «insuffisantes» les preuves scientifiques à l’encontre du pesticide. Une cour d’appel fédérale siégeant à San Francisco a donné trois mois, à compter du 19 avril, pour que l’EPA rende une décision argumentée sur l’interdiction ou non du pesticide à usage agricole. En septembre, le Sénat de Californie votera sur une éventuelle suspension de l’utilisation du chlorpyrifos-éthyl pour deux ans, à l’échelle de son Etat. En attendant, les agriculteurs continuent d’avoir recours au chlorpyriphos-éthyl. Son usage a baissé de plus de 50 % entre 2005 et 2016. Mais aux alentours de Lindsay, il reste le quatrième pesticide le plus utilisé sur les orangers, selon le dernier rapport disponible (2016).

Là-bas, seuls quelques activistes suivent la bataille légale en cours. Mais tout le monde sait que quelque chose dans l’air ne tourne pas rond. Les habitants ont leurs petites habitudes : fermer les fenêtres de la maison quand on entend le tracteur vaporiser, garder les enfants à l’intérieur pendant l’épandage, multiplier les lessives, nettoyer le pare-brise dès qu’il est recouvert d’une pellicule collante. Mais on parle peu des possibles effets à long terme de cette exposition au pesticide.

«En retard»

Sandra Garcia, 62 ans, a cueilli les raisins toute sa vie. Elle a commencé à s’intéresser au chlorpyriphos-éthyl quand ce mot est apparu dans les résultats d’analyses effectuées sur le corps de sa mère, morte en trois mois après avoir attrapé ce que tout le monde prenait alors pour une grippe, en 1988. Entre 2004 et 2006, elle a fourni des échantillons de son urine à une équipe scientifique de Berkeley. Elle a aussi utilisé des appareils de mesure dans tout Lindsay : les trois quarts des échantillons ont révélé la présence du pesticide, et pour 11 % d’entre eux à des taux supérieurs à celui que l’EPA juge «acceptable» pour une exposition de vingt-quatre heures chez l’enfant.


Depuis, Sandra essaie de déconstruire les mythes quand elle va distribuer du pain chez ses voisins. Marta Curiel, une cueilleuse de raisins de 59 ans, s’est sentie très coupable de voir son fils développer en grandissant des troubles d’apprentissage et de l’attention. «Il a 17 ans et je ne peux pas l’envoyer au magasin parce qu’il ne sait pas compter la monnaie, raconte-t-elle. Il est né en 2001 et j’ai été très choquée par les images de l’attentat des tours jumelles. J’ai cru que j’avais peut-être trop regardé la télé.» A Woodsville, où elle habite, la rumeur circule que beaucoup d’enfants sont «en retard» parce que leurs parents étaient éméchés au moment de les concevoir. «Je ne saurai jamais si c’est à cause de la "chlorophylle"», conclut-elle, car elle ne se souvient jamais du nom.

A Orange Cove, à 60 km au nord, Claudia Angulo montre, entre deux quintes de toux, les petites ampoules qui lui poussent sur les avant-bras lorsqu’elle empaquette les agrumes à l’usine. Son fils de 13 ans, Isaac, a été diagnostiqué de troubles de l’attention et d’hyperactivité dès l’âge de 4 ans. Des analyses ont trouvé chez lui des résidus de plus de 50 pesticides, à des taux bien supérieurs à la moyenne, même locale. Sourire triste, Claudia indique un coin de pelouse où l’herbe ne poussait plus parce que son fils passait des heures à y courir en rond. D’un côté de la maison, une plantation d’orangers ; de l’autre, des citronniers. «Personne n’a choisi de vivre ici, enchaîne-t-elle. On est ligotés économiquement parce qu’on dépend tous de l’agriculture. On a besoin que les récoltes soient bonnes pour pouvoir les cueillir. Et nous n’avons pas les moyens de vivre ailleurs qu’au milieu des champs.»

Bastion

En novembre, un local d’information sur les pesticides a ouvert à Lindsay, à deux pas du distributeur d’eau où viennent s’approvisionner les habitants. Angel Garcia, activiste de 31 ans, espère en faire un bastion de la justice environnementale. Depuis qu’il est père de famille, il appelle les délégués agricoles du comté de Tulare quand un épandage dérive sur sa maison. Il les a déjà fait venir quatre fois en 2019 pour une prise d’échantillons. Mais Marianna Gentert, cheffe des délégués agricoles, affirme ne recevoir qu’un à deux appels par mois pour tout le comté. Les résultats d’analyses mettent au moins six mois à être envoyés. Le délai maximal est fixé à deux ans. «Même si on connaît la procédure, ça reste intimidant, dit Angel. Encore plus si la plantation en question est celle pour laquelle vous travaillez. Encore plus si vous vivez ici sans papiers.


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