Stop aux masques non réutilisables !

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Claude
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Stop aux masques non réutilisables !

Message par Claude » 26 mai 2020, 05:45

SCIENCES
CORONAVIRUS ET PANDÉMIE DE COVID-19

« L’élimination des masques réutilisables est un choix historique discutable »

L’historien des sciences Bruno Strasser a retracé avec son collègue Thomas Schlich l’avènement des masques chirurgicaux jetables dans les années 1960. Un tournant qui lui semble préjudiciable.

Propos recueillis par Patricia Jolly Publié hier à 18h30, mis à jour à 04h20 • Temps deLecture 7 min.


Dans un article coécrit avec le médecin et historien de la chirurgie Thomas Schlich, et paru dans la revue médicale The Lancet le 22 mai, le biologiste et historien des sciences Bruno Strasser retrace l’histoire, l’évolution et l’adaptation des masques médicaux à la culture du « tout-jetable ». Pour le chercheur et son homologue, ils sont devenus, au fil du temps, à la fois le symbole de la fragilité de la médecine moderne et de la santé publique.

La pandémie de Covid-19 vous a inspiré un travail de recherche sur les masques. Pourquoi ?

C’est surtout la question de la pénurie de masques qui nous a intrigués, car on sait depuis très longtemps que le masque est indispensable dans la lutte contre les maladies infectieuses, qu’il ne coûte pas cher et est facile à produire. Il est donc étonnant qu’on se soit retrouvé pris au dépourvu quand la pandémie est arrivée, avec des situations dramatiques pour le personnel soignant dans de nombreux hôpitaux.

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Au-delà de la façon dont nous nous sommes préparés et des raisons pour lesquelles on ne disposait pas de stocks plus importants, nous nous sommes demandé pourquoi le masque était devenu un objet de consommation jetable alors qu’il ne l’a pas toujours été.

Jusque dans les années 1970, c’est-à-dire très récemment, les masques médicaux étaient presque tous réutilisables. Ils faisaient l’objet de recherches poussées, ils étaient évalués scientifiquement, et leur développement a conduit à des modèles dont les performances étaient considérées comme très satisfaisantes, souvent même supérieures à celle des masques jetables. C’est ce paradoxe qui a motivé nos recherches.

Quelles étapes avez-vous distinguées dans l’histoire du masque de protection faciale ?

Le masque est apparu sous sa forme moderne dans le contexte de la chirurgie à la fin XIXe siècle, en Pologne actuelle, quand le chirurgien Johann Mikulicz-Radecki a appris d’un collègue bactériologiste que les gouttelettes de salive regorgent de microbes vivants. Il a alors commencé à porter un masque lorsqu’il opérait et a constaté que cela diminuait le nombre d’infections post-opératoires chez ses patients.

En soi, le masque n’était pas nouveau. Avant les découvertes de Louis Pasteur, au milieu du XIXe siècle, on croyait que la contagion était causée par des « miasmes » présentes dans l’air vicié. C’est pour cela que les médecins de la peste du XVIIe siècle ont porté les fameux masques en forme de bec d’oiseau, contenant des épices et des herbes aromatiques pour neutraliser les miasmes.

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Jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, il n’existait pas de distinction ferme entre les masques destinés à éviter les infections et les masques utilisés par les pompiers opérant au milieu de fumées toxiques par exemple. C’est pourquoi on retrouve à ce moment-là, en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, une multitude de brevets d’invention de masques à usages multiples utilisés tout à la fois contre les fumées toxiques, les poussières et les infections. Mais c’est la chirurgie qui invente le masque « moderne », destiné exclusivement à empêcher la transmission de microbes du porteur de masque vers le patient.

Le masque pour se protéger des personnes infectieuses dans un contexte épidémique ou pandémique se généralise ensuite lors de l’épidémie de peste en Mandchourie en 1910, et surtout pendant la grippe dite « espagnole » de 1918-1919. Dans certaines villes aux Etats-Unis, comme San Francisco, chacun était légalement obligé de porter un masque dans l’espace public.

Vous identifiez ensuite les années 1960 comme le virage technologique à l’origine de la pénurie que nous connaissons aujourd’hui…

Jusqu’aux années 1960, quasiment tous les masques étaient en tissu. Il y avait de nombreux modèles différents, composés de superpositions de couches et souvent dotés d’une partie métallique qui se fixait sur le nez. Tous étaient stérilisables, ce qui ne posait aucun problème en milieu hospitalier où, comme aujourd’hui, les infrastructures de stérilisation étaient en place et permettaient la réutilisation des masques. Et, pour quasiment tous les brevets de l’époque que j’ai pu voir, les inventeurs mettaient en avant comme un avantage cette possibilité de stérilisation et donc de réutilisation.

C’est alors que s’est produit une révolution technologique avec l’arrivée sur le marché des textiles en fibres synthétiques non tissées. Ces nouvelles matières permettent de produire des masques, notamment les respirateurs FFP2/FFP3 et N95 comme on les appelle aujourd’hui, dont les pores sont beaucoup plus petits et devraient donc mieux filtrer les bactéries et les virus. Ces nouveaux masques s‘imposent en l’espace d’une décennie et remplacent alors intégralement les masques réutilisables. Nous avons cherché à comprendre les raisons de cette transition.

Confinés chez nous, sans accès aux bibliothèques scientifiques, nous avons pu néanmoins étudier, grâce au récent travail de numérisation, de nombreuses revues médicales – y compris leurs publicités. Nous avons constaté que ce n’est pas l’argument de l’hygiène, comme on aurait pu s’y attendre, qui a été déterminant, puisque nous n’avons retrouvé dans la littérature médicale aucune étude qui rapporte des problèmes de stérilité liés aux masques réutilisables.

En revanche, nous nous sommes aperçus que les journaux médicaux et infirmiers étaient inondés de pleines pages de publicité, notamment de la société 3M, qui fait figure de mastodonte dans ce domaine et qui pousse puissamment à la consommation de ces nouveaux masques jetables grâce à des campagnes de marketing très agressives. Cette entreprise impose également les masques jetables en réalisant des études « comparatives » qui désignent, sans surprise, les nouveaux masques comme « supérieurs » aux anciens.

Le passage au masque jetable n’est donc aucunement lié à un défaut de qualité et d’efficacité des masques industriels en tissus ?

Apparemment pas ou alors de manière secondaire. La transition est évidemment liée au fait que les matières premières synthétiques sont peu chères et qu’il est plus pratique d’avoir du jetable que du réutilisable, qui exige du personnel à la laverie et au réassemblage, puisqu’il faut réinsérer la pièce métallique nasale dans le tissu.

Mais, c’est plus fondamentalement la logique de la gestion des stocks qui a permis au masque jetable de s’imposer. Il apparaît largement dans la littérature que les administrateurs d’hôpitaux trouvent beaucoup plus simple de gérer des stocks de jetables. Cela facilite grandement la circulation des matériels dans l’institution hospitalière.

Quelle leçon tirer de ce constat pour la crise du masque qui nous touche aujourd’hui ?

Après la pandémie de Covid-19 et dans l’optique d’autres pandémies à venir, nous devons nous garder de considérer qu’il faut stocker toujours plus de masques jetables, même si l’industrie nous pousse à le faire, sans oublier d’ajouter qu’il y a des dates de péremption et qu’il faut donc régulièrement renouveler les stocks.

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Stocker n’est pas une solution envisageable à l’échelle d’une pandémie quand on considère qu’aux Etats-Unis, selon la réserve stratégique de matériels médicaux, il faudrait 500 millions de masques par mois juste pour les hôpitaux du pays et que cette réserve n’en contenait que 30 millions en janvier 2020. Il faut cesser de créer notre propre vulnérabilité en stockant des millions de masques jetables et périssables.

Une solution serait donc de renouer avec la fabrication de masques réutilisables de qualité industrielle ?

Oui. Notre article n’a rien d’un brûlot contre l’industrie, au contraire. Elle possède un savoir-faire énorme, l’évidente capacité de produire des millions de masques réutilisables tout en garantissant un contrôle-qualité élevé. Il faut solliciter les partenaires industriels tout en leur signifiant qu’on veut surtout des masques réutilisables. Et qu’on veut soutenir, dans ce domaine, la recherche qui a été interrompue dans les années 1960, créant ainsi une ignorance sur la façon de produire des masques réutilisables efficaces.

De cette façon, nous disposerons toujours de la quantité de masques indispensable plutôt que de devoir les bricoler soi-même sur un coin de table, dans l’urgence d’une pandémie, à partir de tutoriels souvent très approximatifs.

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C’est aussi une petite pique pour le mouvement DIY (« do it yourself ») : produire des masques artisanaux à domicile est évidemment utile et sympathique, mais c’est un emplâtre sur une jambe de bois quand on est confronté à l’ampleur d’une pandémie.

Les masques jetables auront toujours un rôle à jouer dans certaines situations hospitalières, car ils possèdent des propriétés spécifiques, mais leur généralisation et l’élimination complète des masques réutilisables est un choix historique discutable dont nous payons le prix aujourd’hui.

Les Etats ont donc un rôle prépondérant à jouer dans ce changement d’orientation…

Oui, car l’Etat est un client-consommateur qui achète en énormes quantités, à la fois pour ses réserves stratégiques et pour ses hôpitaux. Il est bien placé pour comprendre le risque de la culture du jetable, puisqu’il a réfléchi depuis longtemps aux situations de guerre dont certains aspects ressemblent aux situations de pandémie, avec des interruptions du commerce international et donc à la notion d’autonomie en ce qui concerne les matériaux stratégiques. Les pharmacies de guerre, par exemple, ont parfois encore des seringues stérilisables dans l’optique où, en situation de conflit, il serait impossible de les fabriquer à cause de pénuries de matériaux.

L’Etat doit poursuivre aujourd’hui cette même réflexion, mais en prévision d’un contexte de crise environnementale ou sanitaire. Cette proposition n’a rien de radicale, elle n’est ni de droite ni de gauche, mais il est urgent de s’y employer. La perspective de guerre s’estompe heureusement depuis un moment en Europe, mais les menaces de crise environnementale et sanitaire ne sont que trop présentes


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