Les communs ……

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Claude
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Les communs ……

Message par Claude » 30 juil. 2020, 15:19

Enquête «  Le retour des communs «, une série en 6 épisodes.
Voici le 4ème consacré à la terre et à la propriété.

Je crois que l’appropriation privée de la terre est une logique qui ne permet
ni de la protéger ni de faire face aux enjeux écologiques de l’heure.


Je n’ai pas le temps de remettre en forme le texte
comme je fais d’habitude,
pour qu’il soit plus agréable à lire. Si vous voulez avoir ce ćonfort,
cliquez sur le lien du journal Le Monde :
https://www.lemonde.fr/series-d-ete/art ... 51060.html

.
Posséder la terre en « commun » pour mieux la protéger

Par Claire Legros

Publié aujourd’hui à 00h43, mis à jour à 05h22
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ENQUÊTE« Le retour des communs » (4/6). Héritée des communaux du Moyen Age, la notion de « commun foncier » fait l’objet d’un regain d’intérêt dans le débat public. Elle est aussi expérimentée, dans une démarche sociale et écologique, par des collectifs qui bricolent le droit, faute de dispositifs adaptés.

C’est une idée vieille comme le monde, puis tombée dans les oubliettes de l’histoire, qui resurgit aujourd’hui dans le débat public à la lumière de la crise écologique : considérer les terres agricoles non plus comme une propriété privée, mais comme un « bien commun » dont la gouvernance doit être partagée afin de mieux les protéger.

La réflexion est portée par des chercheurs – philosophes, juristes, anthropologues, économistes – mais aussi par des collectifs de citoyens qui constatent les difficultés du droit moderne à protéger la terre de la surexploitation ou du bétonnage.

La situation est en effet préoccupante. Alors que la crise sanitaire due au Covid-19 a montré l’importance d’une relocalisation de la production alimentaire, plus de cent hectares du patrimoine cultivable français sont grignotés chaque jour par l’habitat (41,9 %), les réseaux routiers (27,8 %) ou les services et loisirs (16,2 %), souligne un rapport de France Stratégie publié en 2019. Chaque mois, près de 500 agriculteurs mettent la clé sous la porte sans être remplacés. Une situation qui favorise la dévitalisation des campagnes et la concentration des terres entre les mains de grandes fermes industrielles.

Epargne solidaire

Face à ce constat, des chercheurs et des citoyens explorent des formes de gouvernance plus soucieuses de la préservation des ressources. Depuis 2003, le mouvement Terre de liens met ainsi en pratique l’idée d’un « commun foncier » partout en France. Pour freiner la disparition des terres agricoles, il propose à des citoyens de participer au rachat de fermes par le biais d’une « foncière », un outil d’épargne solidaire et d’investissement dont le capital accumulé permet de racheter des biens agricoles qui ne trouvent pas de repreneur.

Le mouvement garantit que les terres ne pourront pas être revendues et qu’elles seront cultivées selon les principes de l’agriculture biologique. L’objectif est triple : « sortir la terre agricole du marché spéculatif qui favorise les grosses exploitations et l’endettement », accompagner de nouveaux paysans dans un projet de culture ou d’élevage bio et freiner la disparition de terres de plus en plus vouées au béton.

Depuis dix-sept ans, 16 000 particuliers ont choisi de placer leurs économies dans le projet et près de 6 400 hectares ont été achetés. Une grande partie des 350 paysans qui les cultivent sont nés hors du milieu agricole. Sans le coup de pouce de l’association, ils n’auraient pas pu s’installer. « L’idée n’est pas d’abolir la propriété privée, explique Tanguy Martin, responsable du débat public au sein du mouvement, mais de l’incarner différemment, de manière collective, pour expérimenter ce que pourrait être la gestion de la terre en commun dans la France du XXIe siècle. »

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L’histoire des « communs fonciers », qui se confond avec celle de l’agriculture, est ancienne. Elle débute il y a 13 000 ans, quand se mettent en place les premières formes de gouvernance communautaire, alors que l’organisation des usages du sol prime sur la notion de propriété. A l’époque, les paysans s’organisent pour partager les terres afin d’y couper du bois ou d’y faire paître leurs animaux domestiques, selon des règles conçues pour garantir à la fois les droits de chacun et la préservation des ressources.

Le développement de la propriété privée et la règle des « enclosures », à la fin du Moyen Age, vont réduire considérablement ces pratiques. Pour bon nombre d’économistes, la fin des communs médiévaux signe la naissance du capitalisme.

A partir de l’époque moderne, des communs subsistent, ici et là, de manière ponctuelle. La juriste Sarah Vanuxem, enseignante-chercheuse en droit à l’université Côte d’Azur, en a ainsi retrouvé la trace dans le droit français récent avec les « sections de communes », une pratique ancienne répertoriée administrativement en 1793 et qui perdure dans plusieurs départements comme le Puy-de-Dôme, le Cantal, ou des régions telles que le Limousin, mais qu’une loi votée en 2013 vise à faire disparaître progressivement. « Il resterait entre 23 000 et 100 000 sections de communes sur le territoire français rassemblant au minimum 300 000 hectares », estime la chercheuse. Les habitants d’une section de village – souvent un hameau – s’y organisent entre eux pour partager les droits de pâturage ou d’affouage (coupe du bois) sur un terrain qui n’appartiennent ni à la commune ni à un propriétaire.

Tragédie des communs

Alors que les communs fonciers tendent à disparaître du monde occidental, le biologiste américain Garrett Hardin (1915-2003) leur donne pourtant le coup de grâce théorique en 1968. Cette année-là, il évoque, dans la revue Science, la « tragédie des communs » – le mécanisme, pour lui inéluctable, selon lequel la propriété collective d’un pâturage le condamne à la surexploitation, chacun des éleveurs ayant intérêt à y faire paître le plus de vaches possible. La conclusion de cet article qui va influencer les raisonnements économiques et politiques des décennies suivantes est sans appel : seule la division de la parcelle en propriétés distinctes, ou bien sa gestion par une administration supérieure, peut éviter la catastrophe. Hors de la propriété privée ou de l’Etat, point de salut. Bien que critiqué, le raisonnement se répand dans les milieux économiques, notamment aux Etats-Unis, à la faveur de l’essor du néolibéralisme.

A la fin du XXe siècle, les travaux d’Elinor Ostrom, chercheuse américaine en sciences politiques, contredisent cependant la théorie de Garrett Hardin. A partir d’observations de terrain, l’universitaire a démontré, avec d’autres chercheurs, que la gestion communautaire d’un bien permet au contraire de préserver durablement les ressources qui s’y trouvent – à condition que le collectif se dote de règles de gouvernance capables d’assurer la répartition des droits d’usage de chacun.

Les travaux d’Elinor Ostrom seront récompensés en 2009 par l’équivalent du prix Nobel d’économie « pour avoir démontré comment les biens communs peuvent être efficacement gérés par des associations d’usagers ». Ils inspirent, depuis, la réflexion de nombreux chercheurs qui voient dans l’action collective citoyenne une alternative à l’intervention publique ou à celle du marché.

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La juriste Sarah Vanuxem explore ainsi, depuis 2016, le concept de « communs fonciers » à la lumière du droit foncier moderne. Dans La Propriété de la terre (Wildproject, 2018), elle invite à « chausser de nouvelles lunettes pour lire le droit de telle façon que de réels changements puissent avoir lieu face à l’urgence écologique ».

Réhabiliter la gouvernance collective du foncier permet, selon elle, de redéfinir la propriété de la terre en matière d’habitation et non plus de domination. « On oppose traditionnellement en droit les choses, considérées comme des objets, et les personnes, sujets de droit, la terre faisant alors partie des objets sur lesquels un propriétaire aurait tous les droits, y compris celui de le surexploiter. Or, il n’en a pas toujours été ainsi, cette opposition a été théorisée seulement à l’époque moderne, à partir du XVIIe siècle. »

Bricolages juridiques

La juriste s’appuie sur les travaux de l’historien du droit Yan Thomas, qui montrent que l’Occident, pendant longtemps, n’a pas fait de distinction entre les choses et les personnes, en particulier dans le système juridique romain.

D’autres relations sont donc envisageables dans le droit contemporain, estime-t-elle, comme de considérer la terre, non pas comme un objet, mais comme un milieu à administrer. « Des systèmes où les personnes sont administratrices de la nature, plutôt que “comme maîtres et possesseurs”, selon la formule de Descartes, mériteraient d’être explorés de nouveau, à une époque où la conception que nous avons de la propriété privée ne permet plus de protéger la terre », affirme la juriste, qui propose de « lire la propriété autrement, non de la supprimer ». Son travail a été salué par l’anthropologue Philippe Descola, qui y voit « une ouverture exceptionnelle pour repenser les rapports juridiques entre humains et non-humains à l’ère de l’anthropocène ».

Car la mise en pratique de communs fonciers se révèle aujourd’hui complexe. Pour monter leurs projets, les collectifs doivent faire preuve d’imagination : ils détournent de leur usage des outils juridiques qui n’ont souvent rien à voir avec leur objectif. Un manuel intitulé « Des terres en commun ! Stratégies locales d’accès à la terre pour l’agriculture paysanne et agroécologique », publié en juin par un collectif d’associations européennes, a recensé une dizaine de ces bricolages juridiques.

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A Terre de liens, le dispositif est chapeauté par une société en commandite par action, dont les parts sont réparties de telle façon qu’un arbitre tient lieu de garant du projet. Les actionnaires ne cherchent pas un retour sur investissement financier, mais un retour éthique et solidaire.

A Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), les occupants du bocage, qui s’organisent aujourd’hui pour acquérir collectivement terres et bâtiments, ont opté pour un fonds de dotation, une structure à mi-chemin entre l’association et la fondation, initialement créée pour défiscaliser le mécénat : baptisé « La terre en commun », il a été lancé en novembre 2018 « sans aucun système de parts ou d’actions », explique le collectif, afin que les biens soient « placés en dehors de la spéculation et des recherches d’enrichissement personnel ».

Pour Sarah Vanuxem, ces montages juridiques « sont révélateurs d’une insuffisance » : ils invitent le législateur à élaborer des formes juridiques de gouvernance partagée.

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Claire Legros

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Re: Les communs ……

Message par Claude » 31 juil. 2020, 15:07

L’aventure citoyenne des semences paysannes, « commun » nourricier

Par Claire Legros

Publié aujourd’hui à 07h00, mis à jour à 14h37
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ENQUÊTE

Depuis près de vingt ans, des maisons des semences paysannes préservent et redonnent vie, à l’échelle locale, à ce patrimoine de diversité cultivée. Une gouvernance citoyenne dont les crises écologique et sanitaire révèlent aujourd’hui la pertinence.

« Le retour des communs » ( 5/6).

C’est un champ comme on n’en voit guère, où des épis de toutes tailles, mêlés de coquelicots, ondulent au vent léger de l’été normand. Il s’agit en réalité d’une maison de semences associative où des variétés de blé, d’avoine, d’orge, d’engrain ou d’épeautre, aux appellations sympathiques − le Bon Cauchois, le Blanc de Flandres, le Gros Bleu −, sont cultivées par l’association Triticum. La collection compte une centaine d’espèces dont les plus anciennes datent de − 8000 av. J.-C. et s’étend sur quatre hectares, à Roncherolles-sur- le-Vivier, dans la banlieue rouennaise (Seine-Maritime). « C’est une collection vivante car les semences évoluent en fonction du terroir et du climat, affirme Simon Bridonneau, qui a cofondé l’association en 2019. Ce bien commun est menacé de disparition. »

En 2019, un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) alertait en effet sur la disparition d’une large partie de la biodiversité alimentaire et sur la menace qu’elle fait peser sur « l’avenir de notre alimentation, de nos moyens de subsistance, de notre santé et de notre environnement ». Selon les experts, les trois quarts de la diversité génétique présente dans l’agriculture ont disparu au cours du XXe siècle. Un an plus tard, la crise du Covid-19 a accéléré la prise de conscience : la souveraineté alimentaire est une préoccupation centrale pour les villes, dépendantes de nombreux acteurs souvent éloignés géographiquement − il suffit qu’un maillon cède pour que la chaîne d’approvisionnement s’arrête. « Cette dépendance vaut aussi pour la semence, poursuit Simon Bridonneau. Le système agro-industriel impose aux agriculteurs comme aux jardiniers de racheter des semences chaque année, associées aux engrais et pesticides nécessaires à leur culture, alors qu’ils pourraient les produire eux-mêmes. »

L’association normande de Simon Bridonneau appartient au Réseau semences paysannes, créé en 2003 pour redonner vie à ce patrimoine vivant et défendre le droit des agriculteurs à produire et à échanger des semences. Il regroupe plusieurs dizaines de « maisons des semences paysannes » qui s’attachent à sélectionner et à adapter des variétés à leur terroir. Depuis près de vingt ans, ces maisons réalisent un travail minutieux et patient de collecte des semences anciennes, mais aussi de réappropriation et de transmission des savoir-faire nécessaires pour les reproduire tout en les adaptant au changement du climat. Une démarche qui, pour Elise Demeulenaere, socioanthropologue au CNRS, « relève de la notion de “commun”, car elle repose sur trois éléments : une ressource, une communauté qui la maintient et l’enrichit et des règles qui encadrent l’usage du bien ».

Libres de droit

La notion de « commun » a été définie, au début du XXIe siècle, par la politiste américaine Elinor Ostrom. Récompensée par l’équivalent du prix Nobel d’économie en 2009, elle a montré, à partir d’observations de terrain, que des communautés parviennent à organiser durablement des « règles d’usage » sans recourir ni à l’Etat ni à la propriété privée, afin de garantir la survie de leurs membres et la préservation d’un réservoir de ressources pour les générations suivantes.

Cette notion de « commun », le Réseau semences paysannes l’a expérimentée avant de l’explorer du point de vue théorique. Car l’une des particularités des semences paysannes, c’est qu’on ne peut les cultiver seul. « Personne ne peut dire “c’est ma semence” », note Robert Ali Brac de La Perrière, ancien chercheur généticien, coordinateur de l’association Biodiversité échanges et diffusion d’expériences à Montpellier et auteur de Semences paysannes, plantes de demain (édition Charles Léopold Mayer, 2014). « Une variété évolue en fonction des autres variétés et espèces cultivées alentours, elle peut subir les aléas climatiques, on peut la perdre. La partager avec ses voisins permet de la préserver en cas de besoin. »

Au fil du temps, des règles sont venues encadrer les activités du réseau : on ne transmet pas plus d’une poignée de graines lors du premier échange, on doit redonner au collectif à la première récolte. « Certaines variétés potagères doivent être réparties entre plusieurs jardiniers afin d’éviter les croisements qui conduisent à perdre la variété d’origine », ajoute Marie Giraud, maraîchère dans la haute vallée de l’Orb, qui, avec son mari, a fait le tour des villages de la région pour sauver l’oignon doux méditerranéen de Terrassac, « non par amour du passé mais parce que ces populations dynamiques sont plus adaptées à la culture biologique ». Au sein du collectif Pétanielle, dans le Tarn, orienté sur la préservation de blés locaux, le choix des variétés cultivées est décidé chaque année par les adhérents « avec le souci de trouver un modèle économique à l’agriculteur, explique Christophe Pouyanne, l’un des membres. Notre projet est de redonner à ces variétés paysannes une place dans une économie relocalisée ».

Ces méthodes empiriques ont apporté, en 2008, la preuve de leur efficacité du point de vue de la diversité génétique. Une étude réalisée sur une variété ancienne de blé, sous la direction de la généticienne Isabelle Goldringer, a ainsi montré une plus grande diversité dans les champs des paysans que dans les collections de ressources génétiques des institutions de recherche. Un constat qui a fourni, selon Elise Demeulenaere, « des arguments scientifiques pour contester l’idéal industriel d’obtenir des variétés végétales fixes » et montré que la biodiversité se nourrit des différences entre les terroirs et les savoir-faire paysans. C’est pour cette raison que les membres du réseau défendent l’idée d’une recherche scientifique participative qui se pratique dans les laboratoires, mais aussi dans les champs, par la sélection à la ferme.

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Cette gouvernance citoyenne s’organise en marge du marché officiel, qui est strictement encadré depuis le milieu du XXe siècle. Avec le développement de l’agriculture intensive, la sélection des graines, traditionnellement dévolue aux paysans, a été transférée à des semenciers professionnels : les politiques publiques et les réglementations ont depuis lors encouragé les agriculteurs à abandonner les variétés de pays et la sélection à la ferme. Conçues en laboratoire et en station expérimentale, les semences industrielles, génétiquement homogènes, garantissent des rendements élevés et prévisibles mais elles nécessitent souvent l’apport d’engrais et de pesticides. Parce qu’elles sont traçables et stables, elles peuvent en outre prétendre à une protection intellectuelle et obtenir un certificat d’obtention végétale (COV), ce qui ouvre la voie à leur homologation officielle pour la commercialisation.

Ce n’est pas le cas des variétés rustiques issues de la sélection paysanne : elles sont libres de droits et elles ne souscrivent pas aux critères d’homogénéité et de stabilité requis pour obtenir un COV, car elles évoluent au gré du climat, des terroirs et des savoir-faire. De ce fait, elles sont interdites à la vente à des maraîchers professionnels, même si, depuis la loi sur la biodiversité de 2016, l’échange des semences de gré à gré entre agriculteurs est toléré dans le cadre de « l’entraide paysanne ». Depuis le 10 juin, la vente de semences paysannes est aussi explicitement autorisée aux jardiniers amateurs − à condition qu’ils ne fassent pas de leur récolte un usage commercial.

Pression commerciale

Au sein du mouvement social mondial de résistance à l’appropriation du vivant par l’agro-industrie, le Réseau semences paysannes suit une ligne de crête : d’un côté, il s’oppose à la réglementation qui interdit aux paysans, par les droits de propriété intellectuelle, la réutilisation des semences. De l’autre, il constate aussi les limites de la libre circulation des graines à l’échelle de la planète, qui conduirait à ignorer la contribution des communautés paysannes à la gestion de l’agrobiodiversité. Comme le souligne Elise Demeulenaere, « l’accent est donc mis sur la nécessité d’une réglementation qui pérennise ces systèmes alternatifs » et favorise « l’autonomie paysanne, le développement local, une alimentation saine et goûteuse, et le respect du vivant ».

Cette gouvernance en « commun » peut-elle résister à la pression commerciale, favorisée par les crises écologique et sanitaire, alors que les variétés anciennes et rustiques suscitent un intérêt croissant ? Comment protéger ce patrimoine nourricier et les valeurs et savoir-faire qui y sont associés, sans recourir soi-même à la logique d’appropriation du vivant que l’on conteste ? La question suscite de vifs débats au sein du mouvement depuis qu’une des maisons a signé un partenariat avec les supermarchés Carrefour. Si une charte encadre depuis lors les pratiques, le réseau a finalement renoncé à créer un label pour protéger son travail. « Ce serait admettre la marchandisation des semences paysannes, estime Christophe Pouyanne, membre du conseil d’administration du réseau. La seule issue, c’est le collectif. La notion de “commun” peut paraître faible face aux forces du marché : c’est vrai que rien n’empêche quelqu’un, à l’extérieur du mouvement, d’utiliser le travail que nous avons réalisé. En revanche, elle permet de faire vivre l’idée que la semence est un bien commun à condition d’être associée à une communauté capable de la gérer collectivement. » « Les semences paysannes, un commun » est d’ailleurs devenu un slogan du réseau.

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