Chez les pics glandivores, des « bastons » en public
Pour conquérir ou récupérer un nid, des coalitions s’affrontent, sous le regard de spectateurs.
Par Nathaniel Herzberg Publié hier à 18h30, mis à jour à 05h14
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Des pics glandivores, en Finlande.
Des pics glandivores, en Finlande. CLAUDE BALCAEN / BIOSPHOTO VIA AFP
Une bagarre vient de commencer entre deux enfants. Un premier cri fuse : « Baston ! » Autour d’eux, un attroupement se forme. « Baston ! Baston ! » Leurs camarades les encouragent, ou simplement les observent, entre goût du spectacle et apprentissage des techniques de combat. Ce classique de cours d’école peut sembler relever d’une perversité typiquement humaine. Pourtant, bien loin de nous, d’autres animaux ont ritualisé ces affrontements publics. Dans un article publié le 7 septembre dans la revue Current Biology, une équipe d’ornithologues américains décrit, pour la première fois, l’étonnant comportement des pics glandivores et le rôle essentiel qu’y tiennent ces batailles.
De cet oiseau américain, le grand public connaît essentiellement le cri, qui inspira les créateurs du personnage de Woody Woodpecker – le reste étant emprunté à son cousin le grand pic. Pourtant, c’est bien son mode de vie qui fait sa grande originalité.
Il y a cette capacité à dissimuler, à la haute saison, des centaines de glands dans autant de trous creusés dans de vieux arbres, véritables greniers grâce auxquels ils passeront l’hiver. Il y a aussi cette vie communautaire, qui voit une série de frères – jusqu’à sept – se lier à un groupe de sœurs – jusqu’à trois, venues d’une autre famille – pour se reproduire. Pendant plusieurs années, les petits participeront aux travaux domestiques, aideront à élever les nouveaux venus, mais défendront aussi le vaste territoire de la coalition – plus de 6 hectares en moyenne par groupe.
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Jusqu’à ce qu’une niche s’ouvre. Si, par exemple, les trois reproductrices d’une coalition meurent, les femelles non reproductrices des clans voisins vont s’affronter pour prendre la place vacante et enfin se reproduire. Des combats parfois interminables.
En suivant les mouvements de femelles équipées d’un émetteur, pendant plusieurs de ces événements, sur un site d’étude situé en Californie, Sahas Barve, du Musée national d’histoire naturelle de Washington, et ses collègues, ont constaté que les mêmes oiseaux pouvaient multiplier les rounds pendant dix jours. Pas des petits duels anodins, mais de véritables mêlées opposant jusqu’à cinquante femelles réparties en douze coalitions. Certaines y laissent un œil, une aile ou une patte. D’autres gagnent le droit à la descendance.
A 3 km à la ronde
« Nous avons surtout découvert que des congénères, venus parfois de 3 km, venaient assister au match, jour après jour, sans jamais y participer », insiste l’ornithologue. Des dizaines de spectateurs, mâles et femelles, jeunes ou expérimentés.
Le ticket d’entrée a pourtant un coût, rappelle l’article. En s’éloignant, même temporairement, les observateurs fragilisent leur propre clan. Mais selon les chercheurs, ils apprennent ainsi à connaître les autres coalitions, à mesurer les forces en présence, peut-être aussi à étudier les coups qui font mal.
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Pour Claire Doutrelant, directrice de recherche au CNRS en écologie comportementale, « ces données très belles et novatrices apportent des informations que nous n’avions jamais eues : la présence d’observateurs ». Plus largement, souligne-t-elle, « l’étude montre que ces individus cherchent activement de l’information sur leur environnement social, leurs voisins et leurs partenaires ».
Damien Farine, écologue au Max Planck Institute, se dit lui aussi « impressionné » par les résultats obtenus. « On pouvait penser que ces animaux n’avaient pas besoin d’acquérir d’informations sur leurs voisins quand ils avaient déjà un territoire. L’étude montre précisément le contraire. Elle illustre au passage la nécessité d’étudier ce type d’espèces à l’échelle des populations, car les groupes sont en réalité beaucoup plus fluides, plus dynamiques qu’on le croit. » Ne pas trop fixer les rôles ou les appartenances de chacun : le conseil pourrait aussi inspirer les surveillants de cours d’école.
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Nathaniel Herzberg