Ce serait bien que soit transféré ici les propos tenus sur Pascal Poot dans le Jardingo de Chichinette.
En attendant, voici l'interview que j'avais faite de lui pour la Gaz des Jardins (N°82), en 2008, quand il était venu livrer des plants et graines à Jardin'enVie.
Pour que vous connaissiez mieux le bonhomme.
J'y reviendrai peut-être mais je veux simplement dire que vivre comme vit Pascal Poot, en risque de faillite permanente, avec quatre gosses,
dans des conditions matérielles professionnelles rudimentaires (y'a qu'à voir les semis dans sa serre) et personnelles dont personne ne voudrait ici,
il faut être vraiment possédé ou complètement fou.
J'ai assisté à deux conférences de Pascal. Pour moi, c'est un homme intègre et convaincant, qui apporte quelque chose à l'agriculture.
Suite à des propos tenus chez Chichinette: s'il plante autant, c'est parce que pour faire des semences paysannes valables, il faut planter beaucoup afin que la transmission génétique soit la meilleure possible. En plus, dans toute la production, on ne garde que les beaux spécimens.
Quant à tester les semences paysannes de Pascal, si tu veux, Jac, je t'en fais parvenir bien volontiers. Dis moi ce que tu veux expérimenter et donne-moi ton adresse en perso, ou mieux ton adresse perso, comme ça, je peux t'envoyer le catalogue de Jardin'enVie (qui ont aussi des semences de Pascal).
Enfin, si Pascal arrive à vivre (survivre) avec des stages que des gens peuvent se payer, tant mieux.
Le métier du petit semencier est du non stop pour gagner des clopinettes, parce qu'on est occupé toute l'année: production, extraction, conditionnement, commercialisation.
Et quand on est petit, tout prend un temps fou. Il n'y a pas longtemps (c'est peut-être toujours pareil), on voyait encore Rachel, comme on le fait à Jardin'enVie, ensacher à la main. A savoir, avec une toute petite balance de prévision, sachet par sachet. Je l'ai fait: je peux vous dire que ça n'avance pas vite!
Heureusement, à Jardin'enVie, ce sont les mamies ou des bénévoles comme moi qui s'y collent. Sinon, ça ferait grimper le prix d'un sachet à 2,90 euros!
Alors, tu vois, Jac, quand tu parles de filon je parlerais plutôt de survie.
Pascal Poot
Déjà, à quatre ans, il a son petit mètre carré de jardin. Ses parents lui donnent un sachet de graines. Qui ne lèvent pas. L’année d’après, il sait lire : « Eh ! Vous vous fichez de ma gueule ? ». Le sachet était plus que périmé. Pas dégoûté pour autant, Pascal réclame un grand vrai jardin. Quelle surface ? Pendant l’entretien, il balaie d’un geste large celle de la cour d’accueil de la Mairie de Bourg-lès-Valence où il va, tout à l’heure, faire une conférence. À la louche, quelques 80 m2. Je lève un sourcil incrédule.
Faut dire que les parents ont fait un retour à la terre dans les années soixante, et occupent 80 ha à Olmet, au Sud du Larzac, en faisant un peu de tout. Et en peinant beaucoup car le métier de kiné/psy ne prépare pas vraiment au travail de la glèbe. Ni le terrain, qui ne correspond pas tout à fait à l’image que nous avons d’une terre cultivable. Nous sommes dans la garrigue, chênes verts et cistes sur 5 à 30 cm de terre et de caillasse posés sur du rocher. La pluie ? Euh… ça arrive.
Travail du sol pour le petit Pascal ? « À la pioche » me dit-il en rigolant. Je lève deux sourcils incrédules. Les gens du village viennent voir le phénomène (avé l’assent du Midi) : « Il est biéng courageux, ce peutit ». Le peutit cultive des légumes et dès le début, pris par le virus d’un ami de ses parents qui collectionne les variétés anciennes de blé, il va garder ses semences. D’année en année, il fera chaque fois un peu plus. Et d’autant plus que les parents déménagent dans le Cantal où, à l’époque, les terres ne valaient rien sur le plan financier mais, sur le plan qualité, bien plus qu’à Olmet. Comme l’école est trop éloignée, le voilà instruit à domicile par ses parents et il a du temps. Situation qu’il qualifie de chance : pas d’instruction officielle, donc pas d’a priori. L’apprentissage jardinier se fait sur le tas.
À 13 ans, on l’inscrit au Baccalauréat. Qu’il n’ira pas passer (rire). Puis il va partir mener sa vie en compagnie d’une amie étrangère dont il taira l’âge (rire).
Du temps passe et Pascal rachètera les terres d’Olmet ! Où, plus que jamais mordu par la passion semencière, il va finir par élever plus de 10 000 plants chaque année. Inutile de dire qu’il n’a pas le temps entre-temps de s’occuper des premiers plantés. Quand il a fini au bout, il commence à récolter au début. Et ce, quasiment sans eau, à part, au départ, celle de quelques citernes qu’il va chercher.
Du compost ? « Oui, j’ai quelques chèvres, mais jamais assez ». En 2004 ou 2005, 17 mois sans vraie pluie, qui dit mieux ? Mais il est fou ce type ! Ou mordu de défis impossibles, ce qui revient au même. Pourtant, cette année-là, Pascal est le seul du coin à récolter quand même et même pas mal.
Pas de doute, il cache un sacré truc, puisqu’il fournit Germinance, graines Del Païs, Semailles, en Belgique, et Jardin’enVie auquel il fournit aussi des plants. Et tenez-vous bien : sans aucun traitement, ni intervention, ni aucun soin d’aucune sorte, fussent-ils bio. Sa théorie : « C’est volontaire ; c’est pour apprendre aux plantes à résister aux maladies. Comme pour les humains : les Indiens d’Amérique ont été décimés par la rougeole importée par les premiers colons parce que la maladie étant inconnue, ils n’avaient pas développé de résistance. Pour les plantes malades, on préconise de les arracher, de les brûler et surtout de ne pas replanter la même variété au même endroit. On empêche donc la fabrication d’anticorps dans la descendance. Entre nous, si on avait brûlé en Europe, tous les gens qui ont eu la rougeole, il n’y aurait plus grand monde ! Or, de génération en génération la rougeole est devenue bénigne, à part de très rares cas gravissimes qui ne justifient pas l’éradication des sujets porteurs. »
« Non ! Non ! Nous n’aborderons pas ici le sujet des vaccinations ! » s’empresse de dire Valérie en riant.
Que fait donc Pascal en cas d’attaque, comme l’an dernier, de fusariose sur les tomates ? Réponse : « SURTOUT RIEN. Ne pas avoir de volonté d’éradiquer la maladie. Des plantes vont repartir du pied et quelques-unes produire quand même. Récolter alors les fruits dont on sèmera les graines l’année suivante et replanter au même endroit. Si la plante s’en sort, c’est qu’elle est résistante et en perpétuant les semences, en deux ou trois générations, on aura une variété résistante. Si par hasard, elle ne résiste pas, ouste, va voir ailleurs si c’est mieux. » Et Pascal d’ajouter que les agronomes sont partis sur une idée fausse, disant que les plantes mangent ce qui est dans la terre, mais qu’ils n’ont pas eu l’idée qu’elles rejettent aussi ce qui leur est toxique et que là est le problème de la monoculture, donc le développement de maladies, donc la nécessité de traiter, etc. Or ce qui est toxique pour une plante peut en nourrir une autre. D’où l’intérêt de la biodiversité et des rotations.
Pascal affirme qu’il existe une autre idée fausse : celle d’avoir voulu produire des lignées pures. « C’est pareil avec les chiens de race. Toujours un pet de travers, et souvent fourrés chez le toubib avec des problèmes importants ».
Pascal l’affirme et on peut lui faire confiance, depuis plus de vingt ans qu’il expérimente dont huit à Olmet. Et ça marche ! Comme il dit, après être passé pour un barjo : « Maintenant, tout le monde me court après ». Et l’INRA, et la Faculté pour des cours, et les médias… et moi et moi et moi !
Cela dit, la satisfaction du pionnier et la gloire qui s’ensuit se paient cher, très cher. Au prix de la non-rentabilité de l’entreprise. Incompréhensible pour la plupart des gens. Au début quand Pascal vendait des légumes, ça allait. Je sens qu’ici des voix s’élèvent : « Mais il est vraiment fou, ce type ! ». Pourquoi ? C’est tout simple : dans le système économique courant, produire des semences en grosse quantité pour de gros revendeurs est rentable ; en revanche, le faire pour de très nombreuses variétés (150 de tomates chaque année pour 450 en réserve et 150 variétés d’autres légumes dont 30 de melons), obligatoirement destinées à de petits revendeurs bio par correspondance, fussent-ils copains, ne l’est pas. Une telle pratique implique une multiplicité de manipulations, donc un travail gigantesque d’expérimentation, sélection, récolte, tri, stockage, commercialisation. Mille manipulations indispensables.
En plus, tout le travail d’expérimentation et de recherche, qui s’affine d’année en année, n’est jamais fini et ne reçoit aucune rémunération, sinon des applaudissements et le sentiment de faire partie de ceux qui vont peut-être sauver l’agriculture.
La gloire pour du vent, c’est le lot de nombre de pionniers. Pascal et sa famille vivent dans des conditions plus que rustiques, dignes de soixante-huitards innocents, en retour à la terre dans un endroit dont plus personne ne veut, à part peut-être pour des vacances farniente/bronzette. Pour survivre ? Des activités annexes, comme faire du bois pendant l’hiver.
Folie ? Passion ? Vocation ? Me vient brusquement le mot « passeur ». D’un monde (et de l’agriculture qui va avec) à un autre monde. Comme diraient Valérie et Eric avec la devise de Jardin’enVie : « Pour un retour vers le progrès ».
Respect Pascal et salut bien bas. Que les Dieux des Semences soient avec toi.
Encart
Jardiner sur les conseils de Maîstre Poot
• Faire avec ce qu’on a : sa terre, son climat… en observant, observant, observant. Ce que préconisait ma chère Gertrüd Franck* qui louait aussi son manque de culture de départ en matière d’agriculture : « N’ayant jamais rien pratiqué, rien vu, rien lu, je n’avais aucun a priori ».
• Ne jamais enlever les cailloux qui servent de régulateurs de chaleur, d’aération de la terre, de stockage d’humidité par-dessous et d’abri aux vers de terre. Ce que disait ma tante, paysanne et maraîchère dans le Dauphiné dans les années soixante. Question perfide de ma part à Pascal : « Je n’ai pas de cailloux dans ma terre, dois-je en importer ? » ! Ce que je teste, car trop curieuse, avec les galets du Rhône au pied des aubergines et poivrons. La réponse est énnoncée plus haut : faire avec ce qu’on a !
• Ne jamais enterrer profondément de matière organique que ce soit du fumier, du compost, du BRF…
• Ne jamais laisser le sol à nu : utiliser des engrais verts, de la paille, des cagettes, des fagots, des cartons, des palettes, des cailloux, du BRF, pour maintenir la vie microbienne et isoler les plantes du sol quand c’est nécessaire.
• Pratiquer la biodiversité.
• N’utiliser QUE des variétés issues de semences paysannes qui savent s’adapter et ont la faculté de résister. Pas de pitié pour les autres. Sauf si vous n’en trouvez pas en semences paysannes et seulement, comme dit Patricia Beucher, « si c’est pour le sport… ou pour faire plaisir à l’amour de votre vie qui n’aime que le piment d’Espelette maison, alors là… »*
• Respecter la “psychologie” des plantes. Exemple, celle de Môssieur L’Oignon qui n’aime ni la couverture ni la concurrence.
• Ne pas avoir la volonté malencontreuse d’éradiquer la maladie, contrairement aux pratiques habituelles, qui alors, ne peut pas permettre à la plante de développer des défenses (1)
• Vous voulez conserver une variété de tomate ? « Lisez la vie de la fleur sur le fruit » (paraît que Pascal est un expert… mais c’est quoi, ça ?). Plantez côte à côte. Il faut sélectionner en fonction de critères que vous avez choisis : couleur, forme, précocité, productivité. Et si vous créez une variété, sachez qu’elle ne peut être fixée qu’au bout de 7 ans. Ainsi de la variété créée par Pascal : la tomate ‘Petit Arbre’.
(1) Cette pratique, me dit Éric, rejoint la théorie délaissée de Lamark, naturaliste méconnu et éclipsé par Darwin, qui remet en cause les fondements des principes à la base des hybrides F1 et des OGM. Consulter internet.
Références :
* Gertrüd Franck, Mon jardin fleuri, sauvage et productif, éd. Terre Vivante
* Patricia Beucher, Le jardin du paresseux, éd. Ulmer
• Semences Paysannes : www.semencespaysannes.org • Minga : www.minga.net